Le Burundi de ces quatre dernières années éprouve une tactique pour le moins étonnante avec certainement pour objectif de donner le tournis à la communauté internationale, en la culpabilisant, sans cesse. Sans doute est-il arrivé à se convaincre qu’avec les hésitations, les tergiversations et la lourdeur administrative de cette dernière, ladite communauté est une nébuleuse qui est partout, et surtout nulle part!
Pour le pouvoir de Bujumbura, en effet, il suffit simplement d’envoyer, dans la rue, des gens en masse pour des manifestations exclusives; de crier au viol de sa souveraineté et d’ébruiter quelques noms bien connus de la sphère sous-régionale (Kagame-Buyoya), ou du milieu international (Louis Michel, UE…) pour faire croire au complot. La liste de tactiques est presque aussi infinie qu’usée, en ce qu’elle est répétitive et rébarbative à souhait.
Le dernier fait en date et qui a fait monter la fièvre des autorités burundaises est celle relative à la décision de l’Union Africaine de dégraisser la force de l’AMISOM de 1000 militaires, tous Burundais. La réaction des autorités burundaises ne s’est pas faite attendre: une rage inexpliquée et sans doute surdimensionnée, mais somme toute habituelle lorsque les intérêts de certains ténors du régime sont en jeu. L’on sait désormais, à cet égard, ce que rapporte à sa famille et à “son pays” un militaire en mission en Somalie et le manque à gagner que cette réduction du contingent implique. «Le manque à gagner serait estimé, grosso modo, à 323 USD environ prélevés sur la solde de chaque soldat, soit 323.000 USD, plus 500 USD pour la location de chaque armement individuel utilisé par chaque militaire, soit environ 500.000 USD…». Voir l’article d’Athanase Karayenga-«Burundi : le doux poison de l’AMISOM (deuxième partie)» dans https://beneburundi.wordpress.com.)
Au regard des réactions de certains sbires du régime, il est impossible de comprendre un tel acharnement sur l’Union Africaine quand celle-ci met simplement à la disposition de son pays d’origine une partie du contingent, partie en mission de paix en Somalie, au nom de la solidarité africaine et internationale. Surtout que ces hommes en uniforme n’y sont pas allés en voyage d’agrément, mais que c’est, à la limite, au risque de leur vie (environ un millier de soldats burundais sont morts en Somalie depuis 2008). Ce qui, normalement, aurait pu être considéré comme un sacrifice aussi bien de la part du pays d’envoi que des individus eux-mêmes.
Il est surtout incompréhensible de voir un pays si attaché à sa souveraineté et qui ne s’en cache pas, faire des pieds et des mains pour envoyer et surtout garder indéfiniment ses militaires dans un pays, lui aussi souverain; après avoir refusé d’autoriser le déploiement d’une mission africaine de prévention et de protection (MAPROBU-2015); celle d’observateurs internationaux des droits de l’homme; après avoir juré de ne jamais coopérer avec les enquêteurs de la Cour Pénale Internationale (décision des juges de la Cour pénale internationale autorisant l’ouverture d’une enquête pour crimes contre l’humanité au Burundi du 25 octobre 2017).
Autre fait rocambolesque! Comment des représentants du peuple en principe «si occupés» se sont-ils empressés de se réunir en congrès, toutes affaires cessantes, le 21 février 2019 pour délibérer sur une question qui relève de l’administration courante, allant jusqu’à demander au gouvernement, désabusé, de faire revenir ses quatre mille militaires en mission en Somalie si la décision de réduire le contingent de 1000 éléments n’était pas annulée? Il est extrêmement intéressant à cet égard de voir jusqu’à quel point le gouvernement aurait pu mettre sa menace à exécution s’il ne s’était pas désisté par la suite! On le dit incompétent, mais l’on peut se permettre de parier qu’il a su comprendre au moins où se trouve ses intérêts; combien il était dangereux de se tirer une balle dans le pied.
Le pouvoir de Bujumbura est habitué à tout vouloir régler par la force, au nom du sacro-saint principe de souveraineté; un principe par ailleurs de plus en plus galvaudé car, brandi à tout bout de champ et sans raison évidente.
L’on parlera, par exemple, de la souveraineté pour tripatouiller la constitution (mai 2018) et enterrer l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi; l’on évoquera la même souveraineté pour massacrer et enterrer dans des fosses communes des milliers de manifestants en 2015. Le même principe sera évoqué pour refuser de participer au dialogue initié par la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC)… Si cela n’était pas que prétexte, pourquoi alors le Burundi, si conscient de l’importance de ce principe ne comprendrait pas que celui-ci est universel et qu’il ne s’applique pas qu’aux situations le concernant?
Loin de nous l’idée de vouloir à tout prix que les militaires burundais soient rapatriés pour aider à ramener la paix qui fait défaut dans leur pays, mais il est important d’évaluer leur mission en Somalie non pas dans l’intérêt de la Somalie seulement, mais aussi à l’aune de la situation qui prévaut au Burundi. Des observateurs attentionnés estiment que si le Burundi ne disposait pas de militaires grassement payés à l’étranger, la dictature serait déjà tombée (ils constituent la bouée de sauvetage, la vache à lait des autorités burundaises). Sinon, pourquoi le Burundi tiendrait-il tellement à ce qu’ils s’y éternisent. Si ce qui motive et fait pleurer les autorités burundaises à l’idée de les voir rentrer a seulement trait à leurs intérêts propres, vaut-il vraiment la peine de sacrifier une force nationale pour des intérêts particuliers? Poser toutes ces questions, c’est y répondre.
Toutefois, une stricte évaluation des retombées de cette mission sur le Burundi d’une part et sur la paix en Somalie d’autre part est plus que nécessaire pour saisir les vrais enjeux de l’initiative. Nous saluons alors la décision de la Commission Paix et Sécurité de l’Union Africaine et l’encourageons, du même souffle à envisager le rapatriement du contingent burundais au complet, afin de ne pas continuer à engraisser la dictature au grand dam de la paix et de la sécurité au Burundi.
Si nous lançons la présente alerte, c’est parce que nous nous indignons honnêtement contre le crime, la gabegie et la globalisation qui caractérisent le régime de Bujumbura. Nous agissons ainsi car nous aimons la justice, la vérité et la paix. Nous souhaitons surtout voir un jour, un Burundi prospère et réconcilié avec lui-même.
La souveraineté ne doit pas être comprise comme une stratégie pour cacher la fumée d’une maison en feu, mais pour protéger les véritables intérêts des citoyens et pas des bénéficiaires privilégiés des régimes politiques.
Fait à Ottawa le 6 mars 2019
© Alliance Burundaise du Canada, ABC