Le 28 Août dernier nous rappelait le 20e anniversaire de la signature de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi. 20 ans, cela semble déjà si loin, et pourtant c’est ce qui a ramené la paix au Burundi même si le régime du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) s’efforce de l’effacer pour de bon.
Signé le 28 Août 2000 à Arusha, en Tanzanie, pour tenter de mettre fin à quatre décennies marquées par des guerres à répétition, l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi a permis de calmer les démons qui ont ensanglanté le Burundi depuis plusieurs décennies. Cet accord reposait sur de bases solides qui allaient donner un élan positif pour l’avènement d’un nouvel ordre politique stable. En particulier, l’un des objectifs de cet accord était decombattre l’impunité et garantir des prises de décision consensuelles tout en assurant un certain équilibre au sein des forces de défense et de sécurité. Se faisant, cela allait apaiser les mémoires blessées et enterrer la hache de guerre.
Cet accord avait permis de calmer un peu les démons qui ont ensanglanté notre pays depuis plusieurs decennies
Un accord sur papier ?
Le parti au pouvoir, le Cndd-Fdd n’a jamais caché sa désapprobation de cet accord, même s’il l’avait intégré dans la signature du cessez-le-feu signé également à Arusha le 03 décembre 2002 entre le Gouvernement de Transition du Burundi et le Cndd-Fdd. « Le CNDD-FDD a adhéré à cet accord par calcul opportuniste mais il n’y a jamais cru. En conséquence, il a entrepris de le saper et s’est progressivement érigé en pouvoir hégémonique. La mise en œuvre des lois et réformes prévues par l’accord d’Arusha et la constitution a été confiée à un acteur hostile aux principes et à l’esprit qui les sous-tendent. Il s’est attelé à saper Arusha progressivement.»1.
Fait étonnant tout de même, ce sont les leaders du CNDD-FDD, la plupart des orphelins de 1972, qui ont refusé de mettre en place une Commission d’enquête judiciaire internationale chargée d’enquêter sur les actes de génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité prévue dans le protocole I d’Arusha afin de juger les auteurs des crimes commis au pays depuis l’indépendance. Il faut dire qu’eux-mêmes trainaient plusieurs casseroles en matière de crimes contre l’humanité commis durant la lutte. Il eut en fin de compte une alliance de raison entre l’ancien régime militaire et les anciens maquisards pour enterrer ce volet judiciaire.
Ce sont les leaders du CNDD-FDD qui ont refusé de mettre en place une Commission d’enquête judiciaire internationale chargée d’enquêter sur les actes de génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité
Aujourd’hui, ce qui reste de cet Accord est une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) dont le travail est lui-même contesté tant ses dirigeants s’illustrent par une mémoire sélective et extrémiste, qui éloigne cette Commission de son objectif principal de réconcilier les burundais. Mais nous reviendrons sur la CVR à une autre occasion…
Adieu Arusha et l’espoir de paix au Burundi ?
Le Burundi renoue avec ses démons. À peine 100 jours au pouvoir, le nouveau pouvoir dirigé par Evariste Ndayishimiye s’inscrit dans la continuité de l’effacement définitive des principaux acquis d’Arusha qui stabilisaient le pays. Dominé par les durs, militarisé, le pays est devenu de nouveau une junte militaire, ce que le CNDD-FDD avait combattu.
Le bilan du nouveau régime est déjà peu reluisant. La purge ethnique au sein de l’armée qui vise les anciens militaires Ex-Fab continue, les disparitions forcées aussi. On dénombre plusieurs exactions des Imbonerakure au vu et au su de l’appareil policier et judiciaire du Burundi. Ces derniers tuent, rançonnent, arrêtent, battent et emprisonnent « les opposants » en toute impunité. Ils sont souvent appuyés par les forces de l’ordre. Un clan d’intouchables au-dessus des lois fait la pluie et le beau temps. Ainsi, le 25 Août 2020,àKinama, dans la commune urbaine de Ntahangwa, en mairie de Bujumbura, des Imbonerakure, à majorité composés des démobilisés Cndd-Fdd, ont battu trois juges, un magistrat et un greffier de la Cour d’Appel de Ntahangwa qui avaient fait une descente sur une parcelle litigieuse sise dans ce quartier et dans laquelle est érigée une maison abritant une association de ces Imbonerakure. Une milice qui s’en prend au pouvoir judiciaire en toute impunité, cela illustre bien le contexte socio-politique actuel.
Ces exactions sont accompagnées par des discours de haine qu’on croyait avoir enterré. Initié par Feu Nkurunziza, le mot « Mujeri», soit des chiens faméliques enragés, a largement été repris par les Imbonerakure pour désigner les Tutsis. Le terme « Ibipinga » (traitres) désigne les Hutus de l’opposition. Comme partout ailleurs où les régimes ont déshumanisé une catégorie de la population, cela permet de justifier et relativiser les exactions à l’encontre de ces groupes.
Plus récemment, un cas a versé beaucoup d’encre c’est celui d’un certain Kenny Claude Nduwimana. Depuis plusieurs mois, il diffuse des messages de haine en qualifiant les Tutsi « des épines qui ne pourrissent pas », « poison » ou « prostituées », « vauriens », « vulgaires criminels », « chiens », « chacals », « buveurs de sang», « sous-hommes qui ont tous les vices », ce n’est pas « un peuple de Dieu », des « étrangers » sur le sol burundais. Le silence des autorités habilités et le CVR, qui comptait ce dernier dans son équipe de communication jusqu’à récemment, cache mal un soutien tacite de ces discours haineux.
Le retour des démons et des cycles de violences ?
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est sans grande surprise qu’on signale de plus en plus une rébellion dans plusieurs coins du Burundi. Ces derniers, désignés comme des rebelles par certains médias et comme des bandits par les autorités burundaises, conduisent des attaques dont le pouvoir se presse de minimiser l’ampleur. Un mouvement en particulier, le mouvement Red –Tabara (Résistance pour un Etat de Droit), a reconnu ce 15 septembre 2020 être présent au Burundi. Cette situation est suivie avec inquiétude par les Burundais, eux qui ont peur de renouer avec les démons d’avant Arusha. Après presque une décennie d’accalmie donc, le Cndd-Fdd risque de faire retomber le Burundi dans le cycle infernal des confits fratricides qui ont longtemps endeuillé le pays. Le remède était pourtant là mais le malade a refusé de se l’administrer.
Après presque une décennie d’accalmie,
le Cndd-Fdd risque de faire retomber le
Burundi dans le cycle infernal des confits
fratricides
Il est vrai que l’accord d’Arusha n’était pas parfait, mais ce sont ses acquis qui garantissaient jusqu’à sa mise aux oubliettes par pseudo référendum, en 2018, une paix relative au pays. On peut allumer des flambeaux d’une paix de façade lors des cérémonies mais la vraie paix réside dans les consciences des burundais. Le pouvoir en place doit plutôt prendre le taureau par les cornes et la communauté internationale faire pression sur ce dernier avant que le point de non-retour ne soit définitivement franchi.
Références
- Libérate Nakimana, Jean Salathiel Muntunutwiwe, Situation socio-politique du Burundi, 10 ans après la signature de l’Accord d’Arusha : quelles perspectives ? Juillet 2012
- Willy Peter Nindorera, Les interactions entre le processus de paix et l’élaboration constitutionnelle au Burundi Facteur de stabilité ou de crise?